Le Calabrais qui émigra à Macondo, nouveau livre d’Angelo Mastrandrea publié en deux langues par le Meet of Saint-Nazaire
La Havane, 1981. Deux écrivains se rencontrent dans un parc de la capitale cubaine. Il se trouve dans un livre bilingue, publié par la Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs, Meet, de Saint-Nazaire, cette histoire racontée par Angelo Mastrandrea dans la version originale italienne et dans la parfaite traduction française par Olivier-Attilio Favier: Le Calabrais qui émigra à Macondo.
Le premier écrivain a un teint mat typiquement latin, les sourcils en broussaille et une paire de moustaches fournies sur un visage arrondi qui lui confèrent une vague ressemblance avec son interlocuteur qui est simplement plus jeune et un tout petit peu plus maigre. Il porte une chemise bleue sur des jeans de la même couleur, sa poche laisse pointer un stylo et ses cheveux montrent les signes d’une calvitie précoce. Il vient de publier un roman inspiré d’un « crime d’honneur » qui a pour protagoniste Cayetano Gentile, jeune fils d’immigrés du sud de l’Italie et son ami d’adolescence du temps où il vivait avec sa famille à Sucre, en Colombie. Il s’intitule Chronique d’une mort annoncée et l’auteur ne sait pas encore qu’on se souviendra de l’incipit comme l’un des plus fulgurants de l’histoire de la littérature. « Le jour où il allait être abattu, Santiago Nasar s’était levé à cinq heures et demie du matin pour attendre le bateau sur lequel l’évêque arrivait. »
Le second est professeur d’histoire du théâtre et de la littérature à l’université de Bogotà, il écrit sur la culture dans des journaux et n’a pas encore publié son premier livre, un recueil de nouvelles. Il porte un t-shirt jaune sur d’incontournables jeans, au-dessus des moustaches il chausse une paire de petites lunettes d’intellectuel et a autour du cou un appareil photo. Tous deux sont originaires de la même ville, Aracataca dans le district colombien de Magdalena, et c’est avant tout pour cette raison que, lors d’une pause du meeting auquel ils sont invités avec trois-cents intellectuels latino-américains et un groupe d’observateurs européens, en particulier espagnols, Eduardo Marceles Daconte a voulu à tout prix rencontrer Gabriel García Márquez. Quand le professeur avec les petites lunettes se présente à son plus illustre concitoyen, celui-ci s’enflamme soudain : « Tu as dit Daconte ? D’Aracataca ? Tu ne serais pas par hasard le fils de Donna Imperia ? Merde alors ! Allons nous asseoir, nous avons beaucoup de choses à nous raconter. »
Eduardo Daconte pense que rien n’aurait pu lui arriver de mieux, ce jour-là. Ils s’asseyent l’un en face de l’autre et Gabriel García Márquez fait montre de vouloir rouvrir le tiroir des souvenirs : « Mais imagine un peu, ça alors, Antonio Daconte, je me souviens de ton grand-père comme si c’était hier. » Sa mémoire d’éléphant lui permet de raconter de nombreux détails liés à la famille de l’homme qui se tient devant lui. Il lui parle de l’amitié avec son oncle Galileo, « le meilleur ami d’enfance que je n’ai jamais eu », l’homme qui dans L’Amour au temps du choléra ouvrira « la première salle de cinéma » dans la petite ville colombienne, et de son attirance, du temps où il fréquentait l’école Montessori, pour sa camarade de classe Nena, la tante d’Eduardo, qui adulte épousera un certain Armando del Vecchio, fils lui aussi d’un émigré italien. Nena, « presque une enfant, avec des yeux d’oiseau heureux et une peau de mélasse que le grand soleil des Caraïbes irradiait encore dans le lugubre crépuscule de janvier », sera la protagoniste, avec son prénom et son nom, de Trace ton sang sur la neige, le dernier de ses Douze contes vagabonds, dans lesquels l’écrivain finit à Arezzo dans un château médiéval peuplé par le fantôme de son premier propriétaire, qui s’est suicidé après avoir tué sa femme, rencontre un jeune chasseur de murènes à Pantelleria et fait assassiner à coups de couteaux son institutrice allemande au sommet d’un été heureux sur une île méditerranéenne.
Angelo MASTRANDREA
Le Calabrais qui émigra à Macondo
traduit de l’italien par Olivier Favier
ISBN : 979-10-95145-17-7
2019
15 €